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ANR POLIMA : Workshop 6 : Listes et temps

Le sixième workshop du projet ANR Polima se tiendra aux Institut de recherche et d'histoire des textes les 9 et 10 janvier prochains et et aura comme thème général les 'listes et temps'.

du 9 janvier 2018 au 10 janvier 2018

 mardi 9 et mercredi 10 janvier 2018
Institut de recherche et d’histoire des textes
40, Avenue d’Iena
75116 Paris
 > le projet Polima

 > les précédentes sessions du Workshop Polima


Le lien entre les deux objets peut être envisagé sous plusieurs angles :
 
1) Listes d’items temporels : c’est le rapport qui vient le plus immédiatement à l’esprit, mais il peut être mis en œuvre de plusieurs manières. D’une part, il peut s’agir d’items expressément datés (listes de documents datés, par ex. des archives, ou alors de dates de naissance ou de mort, ou encore de données astrologiques, zodiacales, etc.) mais sans ordre chronologique : la question se poserait alors de savoir s’il s’agit bien de listes temporelles ou si le temps n’est ici qu’un caractère subsidiaire.
Dans ce cas, il n’y aurait liste temporelle que lorsqu’il y a utilisation de la forme liste pour figurer une succession chronologique, et ce à des échelles temporelles variables : annales (avec ou sans notation des millésimes « vides »), listes (chronologiques) de papes, évêques, souverains… ou des 9 Preux ; almanachs et calendriers ; obituaires et nécrologes, etc. ; plannings journaliers (par ex. monastiques), etc. Le principe de la liste joue ici sur ses deux plans essentiels, à savoir l’ordre (d’où la chronologie) et la segmentation (définition d’unités discrètes – au sens propre). À l’inverse, une succession chronologique de paragraphes datés (dans des annales, dans des registres de délibération, etc.) est-elle une liste temporelle (la question qui se pose ici étant celle du degré de concision, ou de référentialité, qui permet de distinguer la liste de la compilation) ? La prise en compte de la temporalité ne devra par conséquent pas dispenser de s’interroger ici encore sur ce qui fait liste.
Un autre mode de distinction typologique qui peut être retenu est celui de la temporalité de la production de la liste considérée : il existe en effet des listes canonisées d’items temporels qui sont transmises (i.e. recopiées) telles quelles (comme le martyrologe d’Usuard, massivement diffusé jusqu’au XVIe s.), ou dont le complément éventuel est possible mais n’est pas la finalité même de la liste (listes d’hérésies ou de schismes, qui servent avant tout à donner sens au présent, ont pu être complétées ensuite mais dont le prolongement n’était pas le but initial) ; face à cela, il existe des listes d’items temporels qui sont d’emblée pensées comme ouvertes et donc à compléter (p.ex. les libri memoriales, nécrologes, obituaires ; les listes de naissances dans les livres de raison, etc.), ce qui signifie qu’aux deux plans susmentionnés (ordre et segmentation) s’ajoute la dimension de la temporalité de la production : la liste ne parle pas seulement du temps, elle est du temps.
Cela dit, cette temporalité incorporée n’est pas propre aux listes d’items temporels, mais vaut pour toute liste ouverte : par conséquent, la question du rapport entre listes et temps ne devrait pas être envisagée du seul point de vue des modalités de transmission/réappropriation des listes dans le temps, comme si le temps n’était que le cadre de réalisation de la durée de la liste (comme pour n’importe quel objet). Que les items soient dans le temps (parce qu’ils sont datés, cf. § 1) ou que la liste soit dans le temps ne saurait donc constituer à eux seuls des critères de sélection des listes à envisager.
 
2) On pourrait toutefois se demander si la structure de la liste (ordre et segmentation, possibilités d’arborescence éventuellement signalées par des balises, voire même la« désyntaxisation » de ce qui est listé) et plus largement sa poétique, ses modes de fabrication et de mises en œuvre, ne facilite pas grandement l’usage postérieur de ce qui est mis par écrit (notamment par la réappropriation de tout ou partie des éléments, recomposés en de nouvelles listes).
Par conséquent, la liste ajouterait à la propriété de projection dans le futur – qui est celle de
(probablement) tout acte écrit – la propriété de faciliter l’usage ultérieur ; là encore, ceci ne concerne pas seulement les listes d’items temporels, mais on comprendra bien l’intérêt que présenterait l’hypothèse d’une éventuelle efficacité temporelle spécifiquement liée à la forme liste.
La question se pose également du point de vue des changements d’organisation de la liste :
ainsi, les journaux ou certaines comptabilités marchandes enregistrent les opérations comptables (recettes ou dépenses) au jour le jour, avant d’être éventuellement synthétisées dans un ordre qui n’est plus chronologique (mais thématique ou autre). De même, les textes dits littéraires (chansons de geste, romans d’antiquité, romans du graal…) incorporent des segments de listes, qu’ils déconstruisent ou conservent dans le cours du récit : ce qui pose par exemple la question de la rencontre entre le principe narratif, ses relations particulières à la temporalité et la forme liste, mais aussi entre types documentaires et formes d’écriture (des annales et de Geoffroy de Monmouth au Roman de Rou). À quoi correspond alors cette élimination de l’organisation chronologique antérieure ? Dans quelle mesure le passage d’un listage chronologique à un listage autre n’a-t-il pas un sens qui va au-delà de la simple dimension pratique/rationnelle ? Ne pourrait-on imaginer, par exemple, qu’il y a là une façon
d’écraser la durée de l’année pour en faire une unité temporelle autre – en faire une année, justement, en l’occurrence une année écoulée. On pourrait dès lors concevoir que les modalités de listage sont un moyen de « classer le temps ». La poétique de la liste implique donc de considérer « le temps » au sein du processus de fabrication de la liste, comme effet et moyen esthétiques et rhétoriques très maîtrisés et aux objectifs variés : les effets de rythme et de tempo, le rapport à la formule et à la répétition (rendre la parole efficace dans le présent de l’énonciation ?), mais aussi la construction du « temps » par les éléments verbaux, ce qui ouvre la réflexion sur la « fabrication du temps » par la liste autant que sur la « fabrication de la liste » par des jeux et des effets temporels (effet de litanie, expolitio…).
 
3) D’où une troisième manière d’envisager le rapport entre listes et temps, qui consiste à s’interroger non pas sur ce qui fait une liste temporelle (point 1 ci-dessus) mais sur ce que la liste fait au temps dans le document considéré. La segmentation par la liste peut ainsi être considérée comme un mode de segmentation du continuum temporel, alors même qu’elle paraît n’en être que la révélation. Ce faisant, et comme toute modalité de formalisation, le listage d’items temporels n’est pas seulement une façon de mobiliser un calendrier ou un emploi du temps préexistants, il réalise et naturalise la structuration du temps en le dotant d’une échelle de mesure et de découpage : bref, la liste temporelle produit de la temporalité.
Par ailleurs, la question peut être envisagée sous l’angle de l’exorégulation du temps (comme d’ailleurs de l’espace) médiéval : si l’on observe que le temps « inférieur » (celui auquel sont affectés les dominés) est un temps répétitif et borné (calendrier sanctoral) tandis que le temps « supérieur » (celui des dominants) est un temps ouvert, polarisé mais indéterminé et dont la connaissance qualifie justement celui qui domine, dieu (Jugement dernier) ou l’Église (dates de Pâques) – raison pour laquelle l’Église pourchasse vivement les pratiques de divination –, alors on pourrait considérer que la mise en liste d’objets temporels pourrait revenir à graver dans le marbre des rythmes de mouvement ou de rituel. Par conséquent, l’efficacité du contrôle par le biais des listes ne se réduirait pas seulement à la capacité mémorielle de l’écrit mais à leur capacité à mobiliser, pour la dépasser, la structure duale de la temporalité médiévale. La notion de causalité (première/seconde : cf., entre autres, I. Rosier-Catach) dans l’histoire et les actions des hommes paraît ici centrale : la liste qui fabrique du temps permet-elle de penser cette causalité première des choses, source dont la connaissance garantit là encore un pouvoir ? Beaucoup des textes dits littéraires mettent à la question cette causalité au moyen de l’incorporation de listes fabriquant du temps (problème des listes de villes, des généalogies dans les corpus du Graal… qui dé parentalisent et « mettent dans le temps supérieur » plus qu’elles ne célèbrent la parenté).
C’est sous cet angle que les effets de réécriture mentionnés au point 2 pourraient aussi faire sens, tandis qu’inversement, la possibilité offerte par la liste (et qu’avait bien soulignée J. Goody) d’une lecture non linéaire, à partir de n’importe quel point et dans n’importe quelle direction, pourrait être considérée comme un moyen d’échapper à la linéarité du temps, à laquelle étaient soumis les dépendants (calendrier des redevances, sanctoral, calendrier des travaux agricoles, etc.), eux. Ce faisant, la liste serait ainsi une technique intellectuelle dotée de propriétés idéologiques. Ce troisième axe de réflexion correspond particulièrement bien à certains textes dits littéraires des XIIe et début XIIIe siècles, qui par l’évolution de leurs formes (passage vers-prose, travail sur le genre de l’historia et de la chronique, intégration de la dimension temporelle « supérieure », donc spirituelle, particulièrement visible dans le corpus du Graal après le XIIe siècle, problème spécifique de l’intégration de la forme cyclique…) montrent qu’un autre groupe social que l’aristocratie ecclésiastique au sens large s’intéresse et travaille dans ses propres productions à cet accaparement de la liste comme produisant un temps « supérieur » : dans ce cas précis, cet axe permettrait de continuer à penser, au-delà des catégories littéraires/non littéraires, la circulation de formes comme la liste (et ses pouvoirs) entre corpus ecclésiastique et par exemple corpus aristocratique laïc pour ce type particulier de textes « littéraires ».


 


 
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